APPEL À CONTRIBUTION POUR LE NUMÉRO 21 - REVUE CRIAÇÃO & CRÍTICA

2018-03-01

Le tabou des lettres : entre l’éthique et l’esthétique, la critique du littéraire

Il y a-t-il du sens de parler aujourd’hui d’éthique dans la littérature ? Serait-il possible de le faire sans tomber dans la critique moralisatrice, qui réduit la provocation esthétique à une certaine structure morale pour affirmer le rôle édificateur du littéraire, dont l’écrivain serait responsable ? Aux oreilles sensibles, cette idée réveille de vieux fantômes. Ils surgissent à chaque fois que le mot « éthique » se juxtapose au mot « littéraire » dans n’importe quelle phrase. Mais si malaise il y a, c’est que dans ce tabou se cachent le problème de la continuité et de la rupture – comme un paradoxe qui provoque la réflexion. Dans la confrontation entre l’éthique et l’esthétique s’installe la critique du faire littéraire.

Déjà chez Platon et Aristote, l’idée du bon et du bien se confondaient, de différentes manières, avec le récit et son rapport au monde. Très longtemps après Schiller dans Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme et le moralisme romantique anglais, Sartre a vu dans l’écrivain engagé l’agent d’un changement du monde, jusqu’à ce que la croyance structuraliste et poststructuraliste ait fait de l’autonomie absolue du littéraire le coup de grâce porté à toute intrusion éthique dans l’esthétique (bastion oublié aujourd’hui, puisqu’il est unanimement accepté). Tout de même, entre l’esthétique et quelque chose qu’il faut bien appeler « l’éthique », il existe un débat éternel qui fait couler beaucoup d’encre dans les préfaces, les biographies, les critiques dans la presse et, de plus en plus, dans le corps des romans.

Comme nous l’a signalé Liesbeth Korthals Altes, dans l’édition de la revue Études Littéraires consacrée au thème, en 1999, la notion d’éthique a été dévalorisée au fur et à mesure que les minorités ont pu acquérir une voix pour aborder leur propre expérience. L’éthique renverrait plutôt à l’univers humaniste, disparu avec la prétention de la littérature d’améliorer l’homme. Le sujet a été déconstruit, multiplié. La vérité, la raison, la responsabilité : tous ces concepts sont devenus des mirages. L’Holocauste, selon Agamben, dans Ce qui reste d’Auschwitz, a rendu le combat encore plus complexe : quel est le sens du mot « éthique » dans le récit post-trauma et, surtout, dans la critique de ce récit ?

Et voilà que les écritures de soi, comme l’autofiction, décident de jouer le rôle d’une avant-garde sans limites. Elles revisitent des mouvements littéraires dans leur noyau critique-théorique afin de proposer, dans l’espace du roman, au-delà de l’indétermination des pactes et des statuts, une devise cabale : la négation de toute restriction attribuée à la littérature dans son rapport avec le monde réel.

Tandis que les vestiges du poststructuralisme dans la critique littéraire font encore la tête contre l’éthique dans le littéraire, le domaine de la philosophie lui-même se tourne vers la littérature afin de penser la relation de l’homme avec le monde par le récit (il y a même ceux qui appellent cela le ethic turn). Rorty et Derrida l’ont fait. Martha Nussbaun, dans Poetic Justice, a dicté le chemin. Paul Ricoeur, dans Le Temps et le récit, après avoir plongé dans l’histoire de la philosophie et son rapport avec le texte historique et littéraire, est arrivé à la conclusion suivante : il y a de l’éthique dans chaque pas narratif de l’homme.

Barthes a lui aussi fait un chemin réflexif qui paraît être ancré sur l’affirmation, sans prétention, d’un sujet qui écrit et qui croit dans l’écriture en tant que manière de ne pas exercer une pression sur l’autre. Du Degré zéro de l’écriture jusqu’à La Préparation du roman, il y a un parcours de l’éthique de la délicatesse, de la non-arrogance et de l’affectivité qui, sans tomber dans l’excès ou l’hystérie, habiterait l’espace de la littérature en tant qu’activité fondamentalement traversée par le choc entre l’éthique et l’esthétique. Et Rancière, du Partage du Sensible jusqu’à Politique de la littérature le confirme : entre le poétique, l’esthétique et l’éthique, il se produit encore – et toujours – le politique.

Avec Les Fleurs du mal et Madame Bovary, Baudelaire et Flaubert ont été poursuivis en justice parce qu’ils auraient fait un outrage à la morale et aux mœurs. Émile Zola a été poursuivi et condamné pour s’être approprié d’une identité réelle afin de créer un personnage (pas du tout flatteur) de roman. Plus d’un siècle plus tard, Christine Angot, Lionel Duroy et plusieurs autres auteurs (si l’on reste en France) ont été objet de poursuites et condamnés pour s’être appropriés les noms et les histoires de vie également réelles – ce qui leur aurait détruit la vie, selon l’argumentation de certains. Ceux qui attaquent revendiquent les valeurs morales, le respect à l’éthique. Ceux qui se défendent parlent de l’autonomie esthétique, inattaquable, du littéraire. Entre la littérature et l’éthique, il n’y a que le judiciaire. Quel est le rôle de la critique littéraire dans tout cela ?

Cette édition de Criação&Crítica invite les chercheurs à avancer dans toutes les directions possibles dans ce complexe chemin, à la croisée de l’éthique, l’esthétique et le politique dans la littérature et sa critique. Le rapport d’un auteur à ses personnages ou de cette littérature avec le monde de la lecture seraient-ils éthiques ? En ce qui concerne la critique de la littérature dans ses rapports avec la société, il y aurait-il un espace pour une critique éthique de l’expérience esthétique du littéraire, comme l’a suggéré Lévinas dans L’Éthique et l’infini ? Comment éviter la pression des savoirs philosophiques sur les études littéraires, alors que ce dernier est dans une éternelle quête de légitimité ? Ethos, vision du monde, philosophie morale ; quelle est la contribution de la littérature à l’éthique critique et vice-versa ? Et comment la critique peut-elle faire usage de cette relation pour repenser la littérature ?

Les contributions doivent être envoyées sur le site, en conformité avec les normes de la revue, jusqu’au 30 avril 2018.

La revue accepte des articles en portugais, français, espagnol et anglais.